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Jacques Ellul 

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Le jardin et la ville

L'auteur de "La parole humiliée" n'étant pas un homme de médias, on ne conserve que très peu de traces audiovisuelles de lui. A quelques reprises cependant, Ellul s'est plié au jeu de l'interview. Derrière l'analyste apparaît alors un homme de forte personnalité, constamment maître de lui et de ses idées, sans pour autant jamais céder à la tentation des certitudes ni à l'inflation de l'ego mais ne cachant pas toujours sa déception de n'être pas entendu à la hauteur de ses attentes.

L'intérêt majeur de ces films, lorsqu'on les découvre à la suite les uns des autres, est peut-être de mesurer combien chez Ellul la vie est un itinéraire dont la mort n'est qu'une étape.

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Ce reportage est le film le plus ancien que nous connaissions sur Ellul.

Il a été réalisé au printemps 1972 dans sa maison de Pessac et dans les environs (comme d'ailleurs dans la plupart des documentaires dont il est l'objet).

Le film débute par un commentaire d'Ellul sur son agenda extrêmement chargé et ses conséquences sur sa vie familiale, sujet sur lequel il se montre d'ordinaire très réservé.

Autres scènes intéressantes car rares : un cours à l'IEP sur les classes ouvrières, une visite du club de prévention de la délinquance à Pessac, un moment de ses activités paroissiales ainsi qu'une virée dans le port de Bordeaux où il dit avoir rencontré "simultanément le spectacle de la liberté et celui de l'esclavage" à l'âge de huit ans.

Également cette lecture d'un extrait de Pluies, de Saint-John Perse, et ce commentaire de gravures de Goya : "Je fais comme lui un effort de raison pour exorciser les monstres mais ce dont je suis sûr, c'est que le monstre, ce n'est jamais l'autre".

Extrêmement surprenant ce passage où il annonce que "le capitalisme ne peut survivre en tant que tel et qu'il est à terme directement menacé par la technique".

Le film se termine par la lecture et le commentaire d'un passage de l'Ecclésiaste, auquel il consacrera un livre quinze ans plus tard.

Dans l'extrait montré ici, Ellul décrit comment la technique, de simple moyen qu'elle était depuis les origines de l'Humanité, s’est constituée en véritable milieu à partir du XXème siècle et finalement en système totalitaire d’un type nouveau.

Il indique également comment l’asservissement à la technique prend l'apparence d'un libre consentement. L'aliénation est totale parce que l'illusion de la liberté est totale : contrairement à ce qu'il croit, l'homme n'exerce plus aucun choix, il ne manifeste plus la moindre responsabilité, la moindre éthique; tout au plus quelques bons sentiments par ci par là, histoire de se donner bonne conscience.

Citant Les abeilles de verre de Jünger, Ellul rappelle comment le déploiement de la puissance ne peut déboucher que sur la généralisation de l'insignifiance tandis que toute révolution est désormais impossible dans la mesure où "l'ennemi" agit sous les habits du plus sûr allié !

Les dommages ne sont pas uniquement d'ordre social mais aussi et avant tout d'ordre psychologique : parce qu'il est totalement inconscient de son asservissement par la technique, l'homme est en effet divisé à la base : ce qu’il peut être enclin à penser est immédiatement contredit par ce que le système technicien l’oblige à faire. Sans jamais utiliser le terme "névrose", Ellul donne ici l'exacte description de la pathologie psychique la plus répandue dans le monde contemporain.

Il n’envisage d'autre résistance possible à cet énorme conditionnement de la technique que la prise de conscience personnelle: ce n’est qu’en se ressaisissant que chacun peut à la fois s’affranchir de l'aliénation et (re)devenir un être à part entière. Il reprendra d'ailleurs cette problématique vingt ans plus tard dans un autre film, au titre explicite : "L'homme entier" (1993).

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- production : ORTF (série « Un certain regard »)
- réalisation : Jean-Pierre Gallo
- interview : Michel Farin
- date et support de diffusion : 1972, "Le jour du Seigneur" (émission dominicale)
- durée totale du document : 56' (noir et blanc)
- durée de l'extrait présenté : 15'20"

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