1912
Naissance à Bordeaux le 6 janvier. Le père, Joseph Ellul, 40 ans, italo-serbe et de culture grecque orthodoxe, est voltairien de conviction. Fondé de pouvoir dans une importante maison de négoce bordelaise, il en sera renvoyé pour avoir placé l’honneur au-dessus de ses intérêts personnels. La mère, Marthe Mendès, 33 ans, franco-portugaise et de confession protestante, enseigne le dessin dans un cours privé. Très engagée dans sa foi, mais la vivant de façon solitaire, sans fréquenter le temple, elle se montrera extrêmement dévouée à l’éducation de son fils. Les parents, qui n’auront pas d’autres enfants, sont tous deux issus de grandes familles ayant connu des revers de fortune. Élevé dans les valeurs aristocratiques, Ellul affirmera avoir été un enfant studieux, pauvre mais heureux car “prodigieusement libre”.
1920
Découvre la Bible. Sur les consignes de son père, sa mère, très croyante, ne cherche pas à l’influencer.
1929
Bachelier à 17 ans, Ellul entre à la faculté de droit de Bordeaux sous la contrainte paternelle (passionné de mer, il aurait préféré devenir officier de marine).
Il se lie à Bernard Charbonneau, un camarade de lycée; prélude d’une longue, indéfectible et fructueuse amitié.
Ses auteurs de prédilection sont Goethe et Tacite.
Par son professeur d’économie politique, il entend parler pour la première fois de Karl Marx dont il lira par la l’intégralité de l’œuvre (parce que « si on ne lit pas tout Marx, on ne comprend rien à Marx ») et qui le marquera profondément toute sa vie, parce que « sa pensée dialectique intègre le facteur temps... même si la dialectique est essentiellement un mode de raisonnement biblique ».
En raison d’une intransigeance de caractère qui le fait placer l’honneur au dessus de tout autre considération, Joseph Ellul est licencié pour la troisième fois et à nouveau confronté au chômage, cette fois-ci pendant un an. Ce qui contraint alors son fils à donner chaque jour quatre heures de leçons particulières (en français, latin et grec) tandis que son épouse vend quelques unes de ses peintures.
1930
Vit l’expérience de la révélation chrétienne. écouvre l’œuvre du philosophe Sören Kierkegaard qui, tout comme Marx, mais dans un sens tout différent, pratique également la pensée dialectique. Le danois le passionnera , lui aussi toute sa vie: “(grâce à lui), j’ai réalisé qu’il y avait un monde de distance entre le fonctionnement purement intellectuel et une réflexion intégrée dans une vie”.
1931 ?
« En seconde année de faculté, un camarade ayant eu connaissance de la foi de ma mère est venu me trouver pour me demander si je souhaitais rejoindre son groupe d’étudiants protestants. C’est dans ce groupe que j’ai subi l’influence du protestantisme » (propos cité in Patrick Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, p. 71)
1932
Licence en droit
Lit Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, lequel, dans les années 60, le fera connaître aux USA.
1933
Avec Charbonneau, Ellul participe au mouvement personnaliste qui se manifeste d’une part avec la revue Esprit (créée en octobre 1932, dirigée par Emmanuel Mounier et qui cherche à établir une synthèse entre le Christianisme et le Socialisme) ; d’autre part la revue Ordre nouveau (créée en mai 1933, animée par Denis de Rougemont et à l’orientation anti-fasciste, anarchisante, fédéraliste et surtout critique à l’égard du machinisme).
1934 ou 1935
« Vers 22 ans, une deuxième étape de ma conversion a été la lecture du chapitre 8 de l’Épître aux Romains. (…) C’est le chapitre où la nature souffre et soupire dans les douleurs de l’enfantement. Il m’a donné une réponse au plan individuel et une réponse collective. J’ai vu une autre perspective que celle de Marx, perspective au-delà de l’histoire, définitive. Ce sont bien là mes deux sources». (A temps et à contretemps, p. 18).
Les forces morales, ? (non mentionné par Joyce Main Hanks) - A VÉRIFIER
Le personnalisme, révolution immédiate, Journal du groupe de Bordeaux des amis d’Esprit ; réédition in Cahiers Jacques Ellul n°1, décembre 2004 (pp. 81-94)
Extrait : « Actuellement, toute révolution doit être immédiate, c’est-à-dire qu’elle doit commencer à l’intérieur de chaque individu par une transformation de la façon de juger (ou pour beaucoup par une éducation de leur jugement) et par une transformation de leur façon d’agir. C’est pourquoi la révolution ne peut plus être un mouvement de masse et un grand remue-ménage (…) ; c’est pourquoi il est impossible actuellement de se dire révolutionnaire sans être révolutionnaire, c’est-à-dire sans changer de vie. (…) Nous verrons le véritable révolutionnaire, non pas dans le fait qu’il prononce un discours sur une charrette à foin mais dans le fait qu’il cesse de percevoir les intérêts de son argent. »
1935
La formation des villes modernes (11 pages), ? (non mentionné par Joyce Main Hanks) - A VÉRIFIER
Pour un droit vivant (28 pages), ? (non mentionné par Joyce Main Hanks) - A VÉRIFIER
1935 ou 1936
Ellul découvre (par l’intermédiaire de Jean Bosc, qui deviendra son ami) le livre Parole de Dieu, parole humaine, du théologien suisse Karl Barth. Il trouvera chez ce théologien protestant le moyen de penser dialectiquement l'obéissance de l'homme libre à l'égard du Dieu libre, autrement dit l'idée centrale du message biblique : la libre détermination de la créature dans la libre décision du Créateur.
Directives pour un manifeste personnaliste (avec Bernard Charbonneau)
reproduit et annoté in Revue Française d’Histoire des Idées Politiques n°9, 1er semestre 1999, pp. 159-177 ; version manuscrite in Cahiers Jacques-Ellul n°1, décembre 2004
Texte dactylographié de quinze pages qui démontre en 83 points l’impuissance de la politique face à la suprématie de la technique et de l’État, ceci autant dans les régimes capitalistes, fascistes et communistes. Une révolution est nécessaire. Mais ce terme est entièrement réévalué. Certes, la révolution est à mener au plan politique (“Le salut viendra dans la diminution de puissance effective des États” ; fédéralisme : influence de Proudhon et Bakounine). Certes, elle est à mener également au plan économique (“Jusqu’à présent, il a été question d’une économie dirigée mais on ne se préoccupe pas de diriger ce qui est la condition même de l’économie : la technique.” - #60 – influence de Marx dans sa réflexion sur le poids des infrastructures). Mais cela ne suffit pas : “le problème se pose non seulement sur le plan politique ou économique mais sur le plan de la civilisation elle-même : sur le plan des mœurs, des habitudes, des façons de penser, sur la vie courante de chacun de nous.” (# 81). Pour cela, l’homme doit se libérer du “pêché social”, par lequel il accepte de renoncer à sa vocation de liberté, en se conformant à la pression sociale.
Invité à Munich par des communautés protestantes, Ellul assiste à un meeting nazi: “C’était impressionnant de voir comment une foule pouvait aussi facilement être galvanisée, unifiée".
1936
■ ÉTUDE SUR L'ÉVOLUTION ET LA NATURE JURIDIQUE DU MANCIPIUM
thèse de doctorat de droit, Bordeaux, Delmas
Le Mancipium (litt. : mancipare : action de prendre avec la main la chose dont on se rend acquéreur) désigne la façon dont, dans l’Ancienne Rome, un bien passe d’une main à une autre. Le Mancipium s'applique sur des personnes libres, sur des esclaves et sur certaines choses. Ce n'est pas un droit de propriété mais d'autorité (importance de l’auctoritas paternelle). >> http://remacle.org/bloodwolf/Gracques/mancipium.htm
Dans ce travail de recherche universitaire (dont le sujet a été défini par son directeur), Ellul apprécie le mélange de rigueur et de souplesse du droit romain, en particulier la méthode des jurisconsultes permettant, grâce au système de l’édit perpétuel, un ajustement permanent du droit à la situation économique. En comparaison, le code Napoléon (1804) lui apparaît figé, “éloigné de la vie réelle”, purement technique…
Ellul fera plus tard une autocritique intéressante sur ce travail in A temps et à contretemps, pp.163-164.
Christianisme et révolution, Le Semeur - A VÉRIFIER
1936 ou 1937
Fatalité du monde moderne, Journal du Groupe personnaliste de Bordeaux, réédition in Cahiers Jacques Ellul n°1, décembre 2004 (pp. 95-111)
Extrait : « Notre société n’est peut-être ni pire ni mauvaise que celles qui l’ont précédée mais elle possède maintenant des moyens d’action jamais connus encore, elle obéit à des forces dégagées de toute contrainte. Ces moyens d’action lui imposent des formes (sociales, politiques, économiques, intellectuelles) très précises et sans considération humaine. Ces moyens d’action deviennent la raison d’être de la société entière et l’entraînent à sa suite. Ils se développent avec indifférence. Le monde où nous vivons devient donc fatal. »
1937
Chargé de cours à Montpellier pendant un an. Épouse une étudiante en droit, Yvette Lensvelt, qui lui donnera quatre enfants et dont il ne cessera par la suite de dire combien elle aura influé sur sa vie en lui apprenant « à vivre » , « à goûter les choses » et « à écouter les autres » (P. Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, p. 145).
Note sur le fédéralisme (non mentionné par Joyce Main Hanks) - A VÉRIFIER
Le fascisme, fils du libéralisme, Esprit, vol. 5, n°53 février (rédigé en 1936) p.761 et suivantes, consultable sur la site de la bnf ; réédition in Cahiers Jacques Ellul n°1, décembre 2004 (pp 112-137) (Il s’agit du premier article d’Ellul dans la revue Esprit)
« Tout ce qui est antilibéral est nôtre », proclame le fascisme. En réalité, il en est l’héritier direct. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, il n’y a pas de doctrine fasciste. Le fascisme n’est nullement conditionné par une pensée, c’est un sentiment qui s’adresse au sentiment. Il ne constitue pas un effort pour atteindre un ordre réel, il s’inscrit au contraire tout entier dans une fiction, qui, elle, résulte totalement d’un ensemble de faits bien réels : la réalité économique. Derrière son discours autoritaire, le fascisme n’est en fait que la traduction d’une certaine démission devant ces faits. S’opère donc une mystification qui tend à faire passer pour de la volonté ce qui, au fond, n’est qu’une soumission à la réalité. Or l’absence de théorie du fascisme est une caractéristique du libéralisme car, « par la proclamation de la liberté de pensée, la société libérale s’est délivrée de la pensée ».
Critiques, ? (non mentionné par Joyce Main Hanks) - A VÉRIFIER
Ellul s’élève entre autres contre les études de type juridique (sur la démocratie, la souveraineté…) entreprises dans une perspective soi-disant révolutionnaire. (cité dans A temps et à contretemps, p. 44)
Le progrès contre l’homme (non mentionné par Joyce Main Hanks) - A VÉRIFIER
Ellul rompt avec le mouvement Esprit, de même que Charbonneau : tous deux jugent la position d’Emmanuel Mounier trop peu critique par rapport aux phénomènes de mutation de la société (le poids croissant de l’État et de la Technique) et en revanche trop spiritualiste, indifférent à toute nécessité de révolution.
1938
Chargé de cours à Strasbourg; replié à Clermont-Ferrand quand l’université s’y installe sous l’Occupation.
Amour de Soi, Le Semeur, vol. 41, n°7 (mai-juin), pp. 403-431
C'est paradoxal, mais Dieu nous appelle à ne plus nous aimer nous-même, dans le but de découvrir le miracle de la résurrection à travers le sacrifice de Christ, ce qui demande de nous aimer sans égoïsme et sans orgueil afin d'être rendus capables d'aimer les autres.
Note sur les impôts municipaux à Montpellier aux XIIIe et XIVe siècles Revue historique de droit français et étranger, Librairie du Recueil Sirey, 4ème série, vol. 17, pp. 365-403
1939
La politique et nous, Le Semeur, vol. 42, n°3 (janvier), pp. 177-181
Suzanne De Dietrich, dans un article précédent ("A propos du mois de septembre", Semeur, nov. 1938), a confondu la paix avec la justice humaine, et a confondu la France avec le peuple élu de Dieu. Son exégèse est fausse. Cet article relate le regard d'Ellul sur la guerre. Voir la réponse de De Dietrich dans le numéro de février.
Droit, Foi et Vie, vol. 40, n° 2-3 (mars-juin); réédition in Foi et Vie n° 2, volume 49, avril 2000, pp. 3-20
La justice de Dieu; les dix commandements; la loi hébraïque; les fondements, l'évolution et le besoin de la loi. "Deux théories 'chrétiennes' non-bibliques de la loi".
Extrait (tout début) : "Il est nécessaire de distinguer dès le début deux questions qui ne pourront pas être étudiées ici toutes deux : la question du droit et la question de l’État. Ce sont des phénomènes bien distincts, qui ont chacun leur sens et leur portée particulier, quoique connexe. Lorsqu’on étudie le problème de l’État de notre point de vue, on n’étudie pas du tout le problème du droit et, inversement, quoique les solutions soient forcément conditionnées l’une par l’autre. En effet, le droit représente en quelque manière l’expression de l’État, mais il n’est pas que cela, et l’État est l’agent du droit mais n’est pas que cela. Chacun des deux a en outre sa sphère propre. En schématisant, on pourrait dire que la sphère du droit, c’est la justice, et la sphère de l’État, l’autorité. Il est donc légitime d’envisager séparément ces deux aspects de la vie sociale, mais il est nécessaire de se rappeler qu’ils ne peuvent pas être séparés dans la réalité, que la solution d’une question exige et conditionne la solution de l’autre. Il est également bon de considérer que ces deux aspects réunis ne constituent pas à eux seuls le problème de la vie sociale, comme on serait trop tenté de le croire. Ils ne peuvent être séparés des autres éléments de cette vie, économie politique et sociologie."
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