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Jacques Ellul 

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La politique

par Frédéric Rognon (2008) *

Dans une société à ce point marquée par le facteur technique, qu’en est-il du statut de la politique ? N’est-elle pas en mesure d’infléchir et d’orienter l’histoire dans un sens plus favorable à la prise en compte de l’humanité de l’homme ? Nous le savons, Jacques Ellul a une petite expérience politique : à la Libération, il a été adjoint au maire de Bordeaux pendant six mois[1]. Il doit alors signer trente lettres par jour, sur des questions qu’il ne maîtrise pas, et dont la décision est orientée par les rapports des cabinets des techniciens. On peut donc imaginer la situation d’un ministre du gouvernement qui doit signer trois cents lettres par jour…[2] C’est ainsi qu’il prend conscience de « l’illusion politique », à laquelle il consacrera un livre portant ce titre, sacrilège à l’époque du « tout politique »[3]. Jacques Ellul ne s’est pas contenté de se retirer de la vie politique, il a alors décidé de ne plus jamais voter de sa vie[4]. Sa conviction que l’homme politique est impuissant, et que même un changement de régime ou la nomination de ministres écologistes ne peuvent nullement affecter la marche en avant de la société technicienne, le conduit à écrire dans Le Monde un point de vue qui fit scandale, au lendemain de l’élection de François Mitterrand en mai 1981, et alors que se réjouissaient tous les intellectuels français (sauf Raymond Aron) : « Rien d’important ne s’est passé le 10 mai 1981 », écrit-il, car « rien de fondamental dans les tendances de notre société ne sera modifié »[5].

a) L’illusion

Jacques Ellul part du constat de l’inflation du discours politique dans la société technicienne : un tel excès est généralement l’indice révélateur d’une perte. Car il s’agit bien d’un processus de compensation d’une absence, d’autosuggestion et de magie incantatoire lorsqu’il n’y a plus que des mots[6]. Tout est politique, parce que l’on confond politique et société[7]. Pour qu’il y ait politique, il faut qu’il y ait un choix effectif entre une pluralité de solutions, et un engagement dans la durée. Or ces deux caractères tendent à disparaître : la politique est soumise à la nécessité technique, et n’intervient plus que sur l’actualité éphémère[8].

Fondamentalement, cette soumission à la nécessité tient au fait que l’individu n’a jamais envie de la liberté, pourvu que l’apparence soit sauve, et que le vocabulaire de la liberté continue à être employé[9]. La politique se réduit donc à l’acquiescement aux options les plus efficaces. De fait, le véritable choix dépend non pas des hommes politiques mais des techniciens qui, depuis leurs bureaux, préparent les dossiers en amont de la décision, et qui les mettent ensuite à exécution, en aval[10]. D’où un « amenuisement de la fonction politique »[11]. Car même une décision qui irait à l’encontre des options techniques des experts en amont, ne serait pas appliquée en aval… La fonction de la politique est de définir les finalités du vivre ensemble, mais aujourd’hui ce sont les moyens techniques qui déterminent les fins[12]. Quant à l’attachement de la politique à l’actualité éphémère, il se trouve renforcé par le développement des médias et de l’opinion publique. La presse déverse un tel flot d’informations que le citoyen ne peut les assimiler et ne peut donc les utiliser dans aucune réflexion politique sérieuse. De plus, une nouvelle chasse l’autre, ce qui interdit toute continuité politique[13]. Focalisé sur l’actualité, le citoyen récuse les problèmes fondamentaux, au profit de faux problèmes, qui lui sont imposés par l’information, « qui font partie du “ spectacle politique ”. La politique prend aujourd’hui souvent en effet la forme du spectacle, spectacle pour le citoyen, comme spectacle offert par les hommes politiques pour régaler leur clientèle »[14]. Finalement, les seules décisions durables qui sont prises sont le fruit de la nécessité, et les décisions volontaires ne concernent que les épiphénomènes éphémères[15].

Si la politique est totalement dépendante de la technique, elle s’avère en revanche parfaitement autonome à l’égard des valeurs morales : l’efficacité est sa seule loi[16]. On sait depuis Max Weber que l’Etat bénéficie du monopole de la violence légitime, et la plus petite manifestation d’indépendance est aussitôt considérée comme attentatoire à cette prérogative. Dire que l’Etat ne devrait pas employer la violence ni faire la guerre, c’est simplement dire qu’il ne doit pas être l’Etat[17]. Par peur d’être mal compris, Jacques Ellul précise que toute guerre est injuste, mais que dans un monde où la politique est autonome, celui qui fait de la politique doit savoir que la guerre en est un des moyens normaux : cela est un fait détestable, mais c’est un fait, que seul un idéalisme ruineux peut récuser[18].

Aujourd’hui, la politique s’appuie sur l’opinion publique. Mais cette opinion publique vit dans un univers totalement fictif, peuplé de faits qui n’ont aucune objectivité : un univers psychologique et verbal, un univers d’images sans aucun lien avec le monde matériel, pure création des médias. On peut ainsi monter de toutes pièces des problèmes dramatiques à partir d’un point de départ infime ou même insignifiant, et mobiliser l’opinion comme si cela était doté de la plus grande importance[19]. C’est dans cet univers d’images que se développe la double illusion politique : d’une part l’illusion des hommes politiques qui croient pouvoir aujourd’hui modifier la réalité même par l’exercice du pouvoir spécifiquement politique, alors qu’ils sont impuissants face à l’appareil étatique, et d’autre part l’illusion identique mais inverse des citoyens qui croient pouvoir maîtriser et contrôler l’Etat par la voie d’une participation au jeu politique, en contrôlant des élus qui n’ont aucun pouvoir[20]. Car les organes de la démocratie représentative ne servent qu’à avaliser les décisions élaborées par les experts : un Etat moderne est d’abord une énorme machinerie de bureaux[21]. Or ces bureaux ont pris une vie indépendante, et à partir du moment où une décision est prise par un ministre, elle lui échappe totalement : elle circule dans les services, et tout dépend en définitive de ce que les circuits de l’administration vont en faire. Fréquemment, elle s’y épuise, non pas par volonté machiavélique de quelques-uns, mais du simple fait de la complexité inouïe de l’appareil bureaucratique[22]. L’homme politique n’a aucun poids en face des bureaux, d’autant que ceux-ci savent parfaitement qu’il est incompétent : tous les décrets qu’il signera, et tout ce qu’il dira dans ses discours publics et à l’Assemblée proviennent d’eux. Ce sont en réalité les experts techniciens qui ont le pouvoir de décision[23]. Jacques Ellul franchit un seuil de radicalité en poussant à leur terme logique les conséquences de l’analyse qu’il vient de mener : le suffrage universel est finalement une illusion totale, puisqu’il consiste à faire participer l’ensemble des citoyens à ce qui n’est plus vraiment le pouvoir[24]. Quant à l’engagement dans un parti ou un syndicat, il revient à démissionner de sa responsabilité individuelle, de sa liberté de jugement : « L’engagement, c’est la mise en gage »[25]. Car ces organisations sont des « machines à fabriquer du conformisme »[26].

Le lecteur pourrait s’imaginer que Jacques Ellul, compte tenu des conclusions de son analyse, prône la dépolitisation ou l’apolitisme. En réalité, son intention est différente : il s’agit de dépolitiser pour repolitiser, c’est-à-dire d’amener le citoyen dépouillé de ses illusions à une attitude vraiment démocratique, conscient de l’importance de changer de style de vie plutôt que de s’engager dans un mouvement partisan[27]. Ces citoyens lucides seront ensuite capables de créer des points de refus et de contestation à l’égard de l’Etat, des groupes locaux susceptibles de se présenter comme un pôle de tension et de résistance en face de l’Etat[28]. A ceux qui lui objecteront le caractère utopique d’une telle solution, Jacques Ellul répond par avance : « Je n’ai jamais dit que cela soit possible. J’indique seulement ce que je crois être la condition de la vie sociale et politique, le chemin unique pour échapper à l’illusion politique. Qu’on ne le suive pas, soit ! L’avenir est assez clair dans ces conditions. Plus ou moins vite, l’illusion politique, qui est transitoire, se résoudra en cendres, et il subsistera une organisation d’objets par des objets »[29]. Et Jacques Ellul conclut par ces mots : « Ces timides propositions ne sont imaginables, et plus difficilement réalisables, que si finalement l’homme politique est avant tout un homme. Qu’on le veuille ou non, tout repose décisivement sur l’individu. Un homme ? Je ne me hasarderai pas dans les méandres des débats actuels à ce sujet. Disons simplement : un centre autonome de décision »[30].

* Cet article reprend le chapitre La politique dans la société technicienne : la grande illusion de l’ouvrage de Frédéric Rognon : Jacques Ellul. Une pensée en dialogue, Genève, Labor et Fides (coll. Le Champ éthique, n°48), 2007, p. 41-45.


[1]. Cf. JE, 1994, p. 42, 68-69, 124-125.

[2]. Cf. JE, 1965, p. 208-209 ; 1994, p. 68-69.

[3]. Cf. JE, 1965.

[4]. Cf. JE, 1965, p. 26, 219 ; 1984b, p. 133 ; 1988b, p. 25 ; 1994, p. 130-131.

[5]Le Monde, 27 mai 1981 (cf. JE, 1987b, p. 16). Jacques Ellul « récidive », dans le journal Sud-Ouest, en juillet puis en octobre 1981 (cf. JE, 2007c, p. 101-103, 111-113). Il avait tenu le même langage en 1965, affirmant que de Gaulle et Mitterrand étaient d’accord sur l’essentiel (cf. JE, 1975b, tome 2, p. 104).

[6]. Cf. JE, 1965, p. 31-33.

[7]. Cf. ibid., p. 43.

[8]. Cf. ibid., p. 57-61.

[9]. Cf. ibid., p. 64-65.

[10]. Cf. ibid., p. 70.

[11]Ibid.

[12]. Cf. ibid., p. 76.

[13]. Cf. ibid., p. 89-95.

[14]Ibid., p. 97. Jacques Ellul emploie la métaphore de la « politique spectacle » dès 1962 (cf. JE, 1962, p. 276), bien avant que l’expression ne passe dans le langage courant, avant même que son ami Guy Debord, qu’il a fréquenté dans le cadre de l’Internationale situationniste, ne montre à quel point, dans la société de consommation, la représentation prime la réalité (cf. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1967 ; cf. JE, 1980b, p. 15, 24).

[15]. Cf. JE, 1965, p. 103.

[16]. Cf. ibid., p. 109.

[17]. Cf. ibid., p. 110-116.

[18]. Cf. ibid., p. 124-131.

[19]. Cf. ibid., p. 143-170.

[20]. Cf. ibid., p. 187.

[21]. Cf. ibid., p. 191-194.

[22]. Cf. ibid., p. 197-198.

[23]. Cf. ibid., p. 208-209.

[24]. Cf. ibid., p. 219.

[25]Ibid., p. 233.

[26]Ibid., p. 245.

[27]. Cf. ibid., p. 273.

[28]. Cf. ibid., p. 298.

[29]Ibid., p. 299.

[30]Ibid., p. 301.

 

CITATIONS :

L’ILLUSION POLITIQUE (1965)

« Nous assistons au développement de l'illusion de l'homme politique qui croit maîtriser la machine de l'Etat, qui croit prendre des décisions politiques toujours efficaces, alors qu'il se trouve de plus en plus impuissant en face de la rigueur croissante des appareils étatiques. Or, cette impuissance de l'homme politique est voilée précisément par la puissance et l'efficacité des moyens d'action de l'État qui interviennent toujours plus profondément dans la vie des citoyens. L'homme politique, fût-il dictateur, n'a finalement aucune maîtrise de ces moyens. Réciproquement, paraît l'illusion du citoyen, qui, vivant encore sur l'idéologie de la souveraineté populaire et des constitutions démocratiques, croit pouvoir contrôler la politique, l'orienter, participer à la fonction politique».

LA FOI AU PRIX DU DOUTE
(1980)

L’accumulation du mal, la montée des périls, c’est la politique, et elle seule, qui les produit. Elle est l’image actuelle du mal absolu. Elle est satanique, diabolique, le lieu central du démoniaque. Et quand je dis politique, je ne vise pas l’Etat. C’est un autre problème. Il s’agit de ceux qui veulent conquérir et utiliser l'Etat. Je ne vise pas non plus une politique, la droite ou la gauche. Non, c’est bien la politique en elle-même, quels que soient sa forme, ses objectifs, ses doctrines, ses moyens, son enracinement social, ses intentions, ses évidences... Et je parle de la politique telle qu’elle est, pratiquée, concrète, par le monde politique. De grâce épargnez-nous ses sentencieuses références à la polis grecque qui n’a rien à voir avec nos Etats-Nations, épargnez-nous ces pieuses élaborations de la politique recherche du bien commun, de l’intérêt général, cet art de vivre ensemble, cette bienheureuse manière de construire en choeur la cité idéale. Toutes ces calembredaines pires que les pires astuces religieuses destinées à couvrir du manteau pudique de Noé la réalité crue seule existante. La politique, c’est la conquête du pouvoir : les moyens pour conquérir le pouvoir — quand on l’a, les moyens pour se défendre contre les adversaires et le garder — et l’utiliser à quoi ? Au bien et à la vertu ? Mais non ! L’utiliser au pouvoir. C’est tout. Et il n’y a rien d’autre dans la politique. Tous les discours sur la politique comme moyen pour établir la justice, etc… sont seulement, exclusivement le voile, le rideau de fumée qui d’une part cache cette dure et ignoble réalité, d’autre part justifie la passion universelle pour la politique, la conviction universelle que tout est politique, que l’on ne peut rien faire sans elle, que la politique est l’activité la plus noble de l’homme, alors qu’elle est la plus ignoble. Source rigoureuse de tous les maux dont souffre notre temps. Et quand je dis qu’elle est diabolique et satanique, ce ne sont pas des adjectifs pour faire bien, Je reprends exactement le sens littéral des termes.

La politique est diabolique. Le diable, le diabolos, c’est étymologiquement celui qui divise, qui sépare, qui désunit, qui rompt la communion, qui provoque le divorce, qui brise le dialogue. Le diable biblique, c’est celui qui a provoqué la rupture entre l’homme et Dieu, qui a utilisé des moyens multiples pour amener l’homme (dans la Genèse) à briser la communion qui caractérisait le rapport du Créateur et de la Création. Il a agi sur des tendances parfaitement naturelles et saines de l’homme: Dieu a créé celui-ci libre et il l’a chargé de diriger, de soumettre la création. Le diable induit de là l’homme à se déclarer indépendant à l’égard de Dieu, et à se vouloir autonome envers sa volonté. Et de même, il transforme le pouvoir donné par Dieu en volonté de puissance et de domination. Cette utilisation et cette déviation est typique de l’action diabolique qui transforme l’oeuvre de Dieu en son inverse, en prétendant l’accomplir. Et c’est aussi bien le passage de la politique, idéale, idéaliste, morale et communautaire en cette politique réelle que j’évoquais plus haut. Pour procéder à ce retournement, le diable agit, bibliquement par la séduction (Eve regarde «l’arbre », et voit de toute évidence qu’il est beau, bon, agréable, intelligent...) et par ce que l’on appelle souvent le mensonge (le diable, prince du mensonge) mais qui est plutôt l’utilisation de la vérité pour produire des effets inverses de ceux de la vérité. Ainsi dans le dialogue entre Eve et le Diable, celui-ci ne ment pas: il annonce bien qu’ils seront comme les dieux, décidant le bien et le mal, et qu’ils ne mourront pas. Mais il séduit en opérant un glissement de sens et de valeurs. La réalité devient vérité. Et la réalité place l’homme dans une situation différente de celle qu’il avait imaginée ou espérée au travers des miroitements et des réfractions multiples de la séduction diabolique.
Or, aujourd’hui, concrètement dans nos sociétés, qu’est-ce qui est le prince du mensonge? La politique, et j’irai jusqu’à dire seule la politique. La France est divisée en deux blocs, absurdement, car nous savons bien en effet que l’un et l’autre sont à très peu de choses interchangeables, et que c’est réellement bonnet blanc et blanc bonnet. Mais ce nonobstant la France est divisée. Il y a des vaincus et des vainqueurs, par étiquette politique. Rien d’autre qu’étiquettes! Il y a impérialisme blanc et rouge, prêts à se faire la guerre. Et qu’est-ce qui pousse les peuples, qui en général n’en ont pas l’idée spontanée, droit à la guerre: la politique. Qu’est-ce qui amène des gars du Texas à aller tuer des Vietnamiens ? Et des gars d’Estonie à aller tuer des Afghans ? La politique seule, qui prétend représenter l’intérêt général, les intérêts collectifs, la patrie et tout le tintouin. Il y a bien sûr, de toute évidence des groupes et des clans qui ne s’entendent pas, et des tribus et des familles, et des corporations qui sont hostiles les unes aux autres, cela ne tire pas à grande conséquence, au pire, des vendettas. Mais quand ces intérêts locaux sont pris en main par la politique, alors ils deviennent représentatifs de l’intérêt général ! Alors on passe aux drames collectifs où les innocents paient pour les coupables. Et en vain on parlerait des intérêts économiques qui sont plus fondamentaux: sans la structure, la stratégie, les appareils, les idéologies, tous politiques, les intérêts économiques ne sont rien et ne changeraient pas grand-chose. C’est la politique qui conquiert (je veux bien au profit de l’économique) les colonies et les marchés, c’est la politique qui mobilise les hommes pour des guerres rendues inévitables par les intérêts économiques. Et ce n’est pas toujours exact que la politique soit mue par l’économique, mais même ainsi, c’est elle qui est le diviseur par excellence: c’est la politique (et non l’économique, comme on le croit trop souvent!) qui est productrice de la division en classes, et qui organise la lutte de classes. Voyez l’incroyable difficulté des partisans à sortir de la politique. Les syndicats y sont inévitablement ramenés. Et lorsqu’une pensée ouvrière se veut à la fois révolutionnaire et hostile à la politique, comme fut l’anarcho-syndicalisme, elle ne réussit pas et ne peut durer longtemps. « Les progrès » du socialisme se font par la voie politique et non par la lutte des classes économiques. Et les anarcho-syndicalistes condamnant la politique avaient parfaitement vu ce caractère de diviseur quand ils affirmaient que le syndicalisme ne doit pas entrer dans la voie politique, parce que celle-ci ne produit que des divisions, et qu’elle entraînerait inévitablement l’éclatement de la classe ouvrière en «tendances» diverses.

Si on veut maintenir l’unité de la classe ouvrière, il ne faut pas faire de politique disaient Merrheim, Griffuelhes, Pelloutier. Et ils avaient senti exactement la nature de la politique, on ne les a pas entendus, et on a vu ce qui est arrivé. Les hommes politiques qui se présentent comme des rassembleurs font rire! Ils sont rassembleurs d’un groupe à condition d’approfondir le fossé qui le sépare de tout le reste de la nation, de même que la politique ne rassemble la nation (Union nationale) que dans la mesure où elle engage cette nation dans une guerre mortelle avec un autre pays. C’est même un moyen connu, admis, sans problème que la guerre pour unir le pays! La politique ne crée rien, et surtout pas la rencontre vraie, l’union des êtres, la marche en avant d’une société, fondamentalement unie et humainement décisionnelle et responsable. Elle ne produit que la division, le conflit en soi, rigoureusement inutiles, fondés sur rien, absurdes. Car lorsqu’un demi-siècle plus tard on regarde les divisions qui opposaient dans une haine farouche les adversaires politiques, on reste toujours stupéfait de la vanité, de la stupidité des motifs de division et de haine, comme en général des motifs de guerre. C’était donc pour cela que ces gens s’égorgeaient, se massacraient ? Nous ne serions pas si bêtes ! Mais ce que nous ne voyons pas, c’est que, avec d’autres objectifs, d’autres motifs nous faisons exactement la même chose ! Et nos motifs politiques de combat paraîtront aussi imbéciles à nos petits-fils. C’est le fait de la politique. Qui induit, séduit, provoque, engage les gens dans des conflits délirants. C’est elle qui nous fait prendre avec un sérieux absolu la «cause» qu’il faut défendre, ou la doctrine, les opinions, contre celles des autres. C’est elle qui fait que nous nous dressons pour des motifs superficiellement idéologiques contre nos frères. Et c’est au nom de ces stupidités, qu’elle provoque les grands massacres. Au nom de la mise en culture de la Sibérie, le goulag. Au nom d’une inutile production intensive de riz, Pol Pot massacre un tiers de son peuple, au nom du prestige politique la France envahit un quart du monde... Solennelles, grandiloquentes proclamations politiques ne produisant en fait, en profondeur que massacres et divisions, Mais dans l’instant, on y croit. On y croit les yeux fermés. La politique rend aveugle, totalement. Elle invente toutes les idéologies en même temps meurtrières et mobilisatrices. Elle provoque des conflits irréversibles. Un exemple simplifié: il y avait depuis le Moyen Age des communautés coexistantes, les Druzes et les Maronites, opposées sur tous les points, mais étant arrivées par le contact quotidien, par la pratique, par la connaissance humaine à un modus vivendi satisfaisant. Et puis voilà que la politique s’en mêle. La politique anglaise qui concurrence et veut mettre en échec la politique française. Et les Russes, et les Autrichiens. Chacun intervenant, soi-disant pour protéger telle ou telle communauté qui n’en avait nul besoin. Et voici qu’à partir du moment où la politique se saisit des relations des communautés. celles-ci sont rompues, les Druzes massacrent les Maronites, pour la première fois, et ceux-ci répondent. Et depuis 1840 cela n’a plus cessé. L’éclatement atroce du Liban est le fruit immédiat de l’entrée de la politique dans les relations humaines.

Je pourrais prendre d’autres exemples: quand il y a un sentiment de distinction entre des gens de race ou de couleur différentes, et des moeurs jugées étranges, et des coutumes ou des costumes curieux, cela n’empêche pas les gens de s’entendre. Ils sont aptes à se reconnaître. Jusqu’au moment où ces différences sont saisies par la politique, alors les dissemblances deviennent affaire tragique, les différences sont des motifs d’exclusion, alors naît le racisme. La provocation du racisme est toujours une création politique, à partir de sentiments naturels d’opposition qui n’empêchaient pas de coexister, parfois avec des heurts mais qui n’étaient jamais irrémédiables. Ainsi la politique rend les différences meurtrières, les conflits irréversibles, les oppositions d’idées irréparables. C’est-à-dire la vraie division diabolique.

Mais il faut sans doute ici préciser deux choses : je n’ai jamais voulu d’un unitarisme, d’une identification, de la reproduction indéfinie par un moule d’un seul type humain ou social. J’ai toujours lutté contre la production en série et pour les pluralismes. J’ai toujours dit que le dialogue se fonde inévitablement sur la différence. Donc quand j’accuse la politique d’être diabolique, ce n’est en rien au nom de l’unité ! Mais la division diabolique est celle qui n’est fondée sur rien de vrai, qui conduit à refuser le pluralisme, la coexistence, la reconnaissance de l’autre, le respect des opinions multiples, l’arrangement de relations humaines bricolées, l’attention à tous les intérêts multiples et divergents. Et si vous me dites que c’est justement cela qui définit la politique libérale, je vous renvoie à la pratique de ce libéralisme politique, et vous verrez qu’il est aussi diviseur que les autres politiques.

La seconde remarque porte sur le fait que mon accusation ne concerne ni la philosophie ni la théologie. C’est-à-dire que je ne prétends pas ainsi caractériser la politique en soi, éternelle, perdurable, considérée en métaphysique. Je parle, comme toujours, hic et nunc, le temps présent. La politique depuis trois cents ans, occidentale, mais qui maintenant a envahi et convaincu le monde, si bien que la politique africaine ou asiatique est exactement entrée dans cette même catégorie. Le diabolique a pris des formes diverses au cours de l’histoire, actuellement le diable, le diviseur, c’est la politique. Elle seule. Et dans son diabolisme, on la voit corrompre le droit, mentir sur la justice, provoquer les fausses espérances (les lendemains qui chantent...), engager l’homme dans des ruptures sans issues. Car tel est bien le diabolique: dramatiser, rompre irrémédiablement, faire entrer dans des impasses. Et tout cela par la voie de la séduction, de la promesse, de l’illusion. N’oublions pas que l’arme par excellence de toute politique, c’est la propagande. Et que celle-ci est le mensonge en soi. Le Prince du mensonge s’exprime aujourd’hui dans la propagande, créatrice de passion et de fausses évidences, d’engagement passionnel et d’aliénation intérieure. Et le mensonge majeur aujourd’hui, c’est la célèbre formule: « Tout est politique », ou encore: « Les peuples ne peuvent s’exprimer que par la voie politique », ou encore: « Si on n’agit pas politiquement, on ne fait rien.» Ces trois formules absurdes sont l’expression même du mensonge du Prince du mensonge exactement et totalement incarné aujourd’hui dans la politique. La politique aujourd’hui, c’est le Diable.

Mais elle est aussi et en même temps, le Satan. Bibliquement Satan et le Diable ne sont pas identiques (pas plus que Lucifer, qui d’ailleurs n’existe pas dans les textes bibliques et est une invention très postérieure). Le Diable, donc, le diviseur par moyen de séduction. Le Satan, c’est l’accusateur. Devant Dieu se tient celui qui en permanence accuse, accuse les hommes par exemple, mais Dieu aussi ! Et partout où il y a accusation (même légitime, même fondée, même judicieuse), il y a oeuvre de Satan. Il y a le Satan lui-même. Leur point de rencontre, c’est évidemment que tous deux par des voies différentes sont la négation de l’amour et de la communion, la négation et la destruction et la corruption de l’amour. Or, aujourd’hui où se situent les grandes accusations, qui désigne tel autre, tel groupe comme le Mal absolu ? Qui joue le rôle de procureur mondial, qui met en accusation une classe, un peuple, une race? Exactement et uniquement la politique. Nous avons vu que dans le diabolique, il y a une certaine corrélation du politique et de l’économique. Mais pas ici. Le satanique est du politique à l’état pur. II n’y a plus aucune raison, il n’y a plus aucune mesure, il n’y a plus aucune considération humaine qui puisse jouer. L’autre est accusé de tout le mal qui se produit, il est porté au niveau du Mal absolu, avec la certitude que si on arrive à l’éliminer, aura lieu enfin la purification, la libération. Accusation du communiste, ou du bourgeois, ou du nègre, ou du colonialiste, ou du capitaliste, ou du nazi, ou du juif...

Combien de milliers de fois ai-je lu ces phrases écrites en transe, par exemple «Le capitalisme est le Mal absolu ». Et c’était écrit par un chrétien. Mais tout autant: «Le communisme est le Mal absolu.» L’accusation sans aucune possibilité de pardon, de mitigation, de conversion. Une fois que vous avez été communiste, vous ne pouvez pas changer, vous restez toujours sous le poids de l’accusation satanique. Il n’y a rien de bon et d’estimable dans l’adversaire. Seule son élimination radicale peut être un remède. La solution. Et cela c’est la politique qui l’a inventé. J’entends aussitôt une protestation: «N’est-ce pas plutôt la religion? » N’avons-nous pas connu l’Inquisition, les excommunications, les conversions par violence et contrainte... Je réponds radicalement là-dessus: oui, parfaitement la religion est devenue satanique chaque fois qu’elle a été prise en main par la politique. L’inquisition atroce n’a pas été celle de l’Eglise mais celle pratiquée au compte de l’Etat, pour lui et souvent par lui. L’extermination des Cathares est bien plus le fait du roi, qui s’est servi de l'Eglise, que de celle-ci. L’Inquisition ne devient extrême qu’entre les mains du roi du Portugal, du roi d’Espagne, de la république de Venise. Jusqu’à ce qu’elle devienne instrument d’une politique, l’excommunication n’est rien d’autre qu’un « remedium animi ». Et les conversions forcées, qui les a provoquées?

Qui a converti les Saxons par la violence ? Charlemagne. Qui a converti les Indiens par la violence ? Les conquistadores (alors que les chrétiens qui ne se mettaient pas au service de la politique pratiquaient au contraire la défense de la personne et des coutumes de ces Indiens). L’esprit d’accusation, de division d’un bien et d’un mal qui doit être extirpé est toujours le produit de la politique.

L’accusation majeure de notre temps est toujours issue d’un politique, fondée sur des motifs politiques, aboutissant à la mort dans le politique. La vue admirable de Koestler dans Le Zéro et l’infini fait éclater cela à l’évidence. Et de même que c’est la politique qui se fait prendre pour l’universel, et détrône Dieu, en réciproque, elle est productrice de l’accusation absolue. Ce qui est la contre-façon rigoureusement inverse de la justice divine. Ce n’est donc pas image littéraire facile, mais vue en profondeur de la politique, de la déclarer satanique, construite par le Satan, et implantée au coeur des hommes par le Satan. Ici encore, d’ailleurs, cela se greffe sur des sentiments spontanés humains, celui de l'auto justification et celui de l’expulsion de l’ennemi pour se purifier. La catharsis. L’homme a toujours besoin de se sentir juste, et jusqu’ici, c’était le rôle de la religion de lui offrir les moyens de la purification, entre autres par le sacrifice. Les grandes religions classiques ont disparu, et n’ont plus de pouvoir par manque de foi. Mais le besoin de l’homme reste aussi intense, le besoin d’être à ses yeux et aux yeux des autres, pur et légitime dans son existence. Et la voie, la seule qui lui soit maintenant offerte est celle de l’accusation, de la découverte politique du bouc émissaire désigné par la politique. Tout le mal est concentré dans cet autre, dissemblable, tout le mal va être expulsé lorsque cet autre sera expulsé ou, mieux, détruit. L’adversaire devient ennemi. L’ennemi devient l’incarnation absolue du mal. Et seul son anéantissement nous garantit non pas une simple victoire politique, mais le paradis, la justice, la liberté. Intégré moi-même dans le groupe des justes, je ne puis que partager leur justice. Or, tout repose sur l’accusation. C’est-à-dire l’oeuvre de Satan. Il n’y a pas simplement une structure, une organisation politique, il n’y a pas un simple effet psychologique, nous devons aller plus loin: précisons cependant que bien entendu le Diable ou Satan n’est pas un personnage, une figure située en un certain lieu donné, une volonté personnifiée ayant un objectif. Je dis que bibliquement partout où il y a rupture ou accusation il y a plus qu’un simple phénomène sociologique ou psychologique, il est impossible d’en expliquer et ramener tous les effets, par ou à du socio-psycho, etc. Il y a plus. Il y a une dimension spirituelle du domaine divin, il y a une dimension extra-humaine. Il y a une puissance inanalysable, qui rend la chose si effroyable. Et c’est ce qui est alors désigné par le Diable ou Satan. Maintenant, dans le monde où nous sommes, la politique est l’incarnation du Satan biblique.

Mais il y aurait un pas de plus à faire pour comprendre la politique: elle est actuellement le lieu du démoniaque. Je ne développerai pas ce point l’ayant entièrement explicité ailleurs. Je me borne à rappeler mes conclusions. La politique est le lieu de l’illusion totale de notre société. Mais au-delà de mes analyses d’autrefois, il faut souligner que: la politique est l’art de généraliser les faux problèmes, de donner de faux objectifs et d’engager de faux débats. Faux par rapport à la vie concrète des hommes concrets, faux par rapport aux tendances socio-économiques effectives que la politique n’atteint jamais. Dans cette fausse orientation, la politique mobilise toutes les énergies, elle engage le tout en généralisant le faux. Tout se joue constamment sur de faux problèmes élaborés et proposés par la politique comme seuls vrais et finissant par les imposer comme tels. Cet illusoire doit être combiné avec le mécanisme de la médiatisation politique. La politique devient médiatrice universelle, la médiatrice obligée entre l’individu et le corps social. On ne peut agir sur le corps social que par la voie politique. Elle est investie d’une légitimité à priori pour la direction de notre société. Elle institue un corps de médiateurs normalement validés. Elle institue une médiation politique. Tout ce qui se produit est traduit en langage politique, et devient par là explicable et compréhensible. La médiation politique s’exprime enfin dans la transposition de la volonté particulière à la volonté générale, intérêt général, etc. Et cette médiation qui joue sur tous les registres finit par se faire accepter par tous et pour le tout. Car là est encore le démoniaque politique, le moyen est substitué à la vérité, la médiation se substitue au tout et remplace tout. Et le dernier pas à faire, c’est le constat bien banal que l’Etat moderne se veut sauveur: nous sommes passés au stade de l’Etat-Providence. Mais ceci est dépassé par l’Etat porteur de Salut. Ce qui est «mensonge» se déclare « porteur de salut ». Telle est la puissance de la dissolution.

Si nous combinons l’illusoire total avec la médiation obligée, nous arrivons d’une part à une organisation de la non-réalité, d’autre part à l’anti-médiation du corps social, ce qui sont les deux caractères dominants de la politique actuelle. Ce n’est donc pas à proprement parler la prétention à une médiatisation qui est attestation du démoniaque, mais d’une part la confiscation de la médiatisation (exclusive de toute autre) associée, d’autre part à l’illusoire, c’est-à-dire produisant une médiatisation de Rien à Rien, d’un mensonge à une illusion, cependant que cela même engage le tout de l’homme et tous les hommes de cette société. Nous avons là un caractère spécifiquement démoniaque. Comme les autres caractères de la politique. Le Démon est celui qui en outre prend possession intérieure de l’homme, qui effectue les promesses d’accomplissement d’une volonté de Dieu supposée, et qui, à cause de ses promesses et de réalisations « d’évidence », se substitue à Dieu. Il est en tout l’imitation inverse du divin. D’autre part, il est indispensable de se référer au Démoniaque dans l’Art de E. Castelli. « Communier sans en appeler au Christ veut dire croire à une suffisance que seul le démoniaque peut insuffler », «l’horrible indéfini : le sens de ce qui est définitivement dénaturé ». « La façade d’une face — anticipation allégorique de la foule, prélude au concept de Tous, c’est-à-dire de Personne. » «La Puissance de dissolution... » Voilà cinq formules de Castelli, explicitant le démoniaque et que nous retrouvons clairement dans la politique où nous avons rencontré tous les aspects qui caractérisent le démoniaque: le mensonge et l’illusion, la création d’un univers intégralement falsifié, l’évidence d’une promesse d’accomplissement de la volonté humaine, la communion suffisante, le sens dénaturé, la façade d’une face... Nous pourrions continuer.

Enfin la politique possède un pouvoir d’absorption, d’assimilation, irrésistible. Les anarcho-syndicalistes français de 1900 avaient totalement raison quand ils démontraient que la politique pervertit, en elle- même, par elle-même, toutes les intentions, tous les projets. Quand ils affirmaient que les socialistes, dès l’instant où ils commençaient à faire de la politique, continuaient à tenir un discours socialiste, mais avaient une pratique anti-socialiste et que les révolutionnaires entrant dans le champ politique cessaient immanquablement d’être révolutionnaires, Ces affirmations de 1880 se sont toutes exactement confirmées: Millerand, A. Briand, Paul-Boncour, Clémenceau, tous socialistes et révolutionnaires sérieux et convaincus, sont, au pouvoir, devenus en tout l’inverse de ce qu’ils avaient promis. Et de même le chrétien est pris dans le dilemme tragique, ou il cherche à rester chrétien et fera une politique stupide (Carter), ou il sera un politique efficace mais cessera fondamentalement, radicalement d’être chrétien. Rocard a raison d’affirmer l’incompatibilité essentielle des deux.

Ce n’est donc pas de façon artificielle et gratuite que nous avions choisi ce terme de démoniaque, il ne s’agissait nullement de «dramatiser » la question. Ce que nous avons montré ce n’est pas la différence entre l’idéal, ou la théorie, et puis une pratique, ce n’est pas davantage la reconnaissance des nécessités de la pratique politique: il y a bien plus. Il y a une certaine «structure» du démoniaque, qui rend compte de phénomènes réels dont rien ne peut expliquer de façon naturaliste et positiviste, l’existence et l’importance.

Il y a une dimension en profondeur de cette superficie. Comment pouvons- nous nous prêter à cela? Telle est la question. Or, j’ai reconnu que la structure du politique actuellement correspond trait pour trait à cette structure du démoniaque. Mais réciproquement ne pourrait-on pas aussi généraliser, et banaliser : après tout n’est-il pas possible de dire aussi bien: l’économie est démoniaque, l’argent est démoniaque, la science, la technique, etc. J’ai fait pas mal d’études critiques au sujet de la technique, je me suis toujours gardé de dire qu’elle était démoniaque ou diabolique. Ceci parce que, autant que faire se peut, je tiens à garder un sens relativement précis aux mots. Si le démoniaque correspond à ce que la Bible nous en dit (et c’est mon choix) explicité par Castelli entre autres, si l’on ne prend pas ce mot à la légère pour signifier un peu globalement ce qui est désagréable, ou injuste, ou mauvais, alors on ne peut pas l’appliquer actuellement à d’autres domaines que le politique, car aucun ne comporte l’ensemble des caractères et leur réciprocité. La science n’est pas (en tant que telle) productrice de mensonge et falsificatrice. L’économie n’est pas «l’horrible indéfini, le sens de ce qui est définitivement dénaturé ». Je dirais par contre que certainement l’argent a été la puissance démoniaque par excellence au XIXe siècle, par exemple, ce que Marx a parfaitement dénoté, mais aujourd’hui, il a été si bien, souvent dénoncé, mis à jour, connoté comme démoniaque, que celui-ci s’est déplacé. Lorsque le Prince du mensonge est mis à jour, il disparaît. II cesse d’exercer sa puissance dans le lieu qu’il avait choisi pour élire d’autres domaines, pour employer de nouveaux miroirs. Nous sommes passés du démoniaque que de l’argent au démoniaque de la politique. C’est notre progrès et notre questionnement.


Ouvrages et articles majeurs de Jacques Ellul

Le fascisme, fils du libéralisme, 1932, Esprit; réédition : 2004 (p.761 et suivantes, consultable sur la site de la bnf)
Fatalité du communisme, 1945, Réforme
Permanence du communisme, 1945, Réforme
Le capitalisme et nous, 1945, Réforme ; réédition : 2004
A propos du libéralisme : essai de réponse et de justification, 1945, Réforme
Socialisme et communisme,  1946
Vers un nouvel humanisme politique, 1947, publications du Centre protestant d’études, Genève
Le réalisme politique, 1947, Foi et Vie
Le fédéralisme pourri,  1949, Réforme
La peur occidentale du communisme, 1950, Réforme
Les nationalismes imprudents, 1950, Réforme
La science politique, 1952, Le Monde
Thèse sur la notion de souveraineté nationale, 1953, Foi et Vie

L'illusion politique, 1965
Politique de Dieu, politiques de l’homme, 1966
La politique moderne : lieu du démoniaque 1978 Estratto Archivio di Filosofia, Rome
Les successeurs de Marx, Cours professé à l’Institut d’études politiques, 2007

Lire aussi

Cahiers Jacques Ellul n°5 : La politique (2008)

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